26 févr. 2018

Sortir de l'opposition entre salaire à vie et revenu inconditionnel.

Bernard Friot et Baptiste Mylondo débattent sur les différences entre salaire à vie et revenu de base. Je pense que ce sont deux projets qui se complètent. Je propose là une démarche susceptible d'unir les progressistes et de stopper la marche de la restauration du monde napoléonien.

La revue littéraire et politique Ballast a organisé un débat entre Bernard Friot et Baptiste Mylondo:  quelles différences, quelles convergences entre salaires à vie et revenu inconditionnel? (le 28 juin 2016 au Lieu Dit à Paris).

Bernard Friot ne voit pas d'autre chemin que de changer la production. La bourgeoisie est une classe révolutionnaire qui a mis en place le travail de l'homme libre contre le mode de production féodal.

Le mode de production capitaliste est désuet aujourd'hui et son remplacement est en cours. La propriété lucrative permet de ponctionner une partie de la valeur produite par le travail (salariés ou travailleurs indépendants) et de décider qui travaille ou qui ne travaille pas.

Il s'agit donc de remplacer le cycle profit - crédit par le cycle cotisation - investissement. Ce travail révolutionnaire a déjà commencé avec le salaire à vie de la fonction publique et la sécurité sociale grâce à l'invention de la cotisation.

Baptiste Mylondo propose le revenu inconditionnel sans condition et sans contrepartie tout au long de la vie à titre individuel au nom d'un droit à un revenu suffisant et de la reconnaissance du travail de tous pour répondre à deux enjeux, celui de la pauvreté et de l'exclusion.

Le revenu inconditionnel doit supprimer la pauvreté et supprimer l'exclusion grâce à un revenu suffisant devant permettre d'accéder aux services essentiels et de refuser l'emploi sans puiser sur les ressources de la planète.

Enfin, l'égalité économique conditionne l'égalité démocratique et l'inégalité économique est antidémocratique par ploutocratie et oligarchie comme le montre l'inégalité de résultat la lutte des pigeons et celles des cafards.

Si le salaire à vie venait à se mettre en place, ce serait une victoire pour Baptiste Mylondo. Du point de vue politique, les deux propositions sont "dans le même camp" (Baptiste Mylondo). Le sujet est donc susceptible de constituer un sujet fédérateur pour la gauche.


Je viens de prendre ma retraite à 64 ans et je vis avec un salaire à vie depuis l'âge de 18 ans; les PTT des années 1970 proposaient un contrat à un certain nombre de bacheliers pour le financement d'une licence contre un engagement à travailler de huit ans. En 45 ans de carrière, j'ai connu deux périodes de chômage/intérim interne de neuf mois, j'ai validé deux diplômes bac+5 en informatique et en ergonomie, j'ai exercé les fonctions et les responsabilités les plus diverses, j'ai fait deux mobilités géographiques, j'ai été mis à disposition du rectorat de Rennes pendant trois ans, etc..

Le salaire à vie m'a donné un parcours intéressant, diversifié, un revenu suffisant m'assurant la plus grande indépendance par rapport à mon employeur et une carrière qui a amélioré mes conditions de vie et celle de ma famille.

La révolution n'est pas un instant, mais un long mouvement de fond qui entraîne toute la société avec des reprises en main momentanées du vieux monde. Les salaires à vie expliquent aujourd'hui plus de 35% du PIB, avec les salaires du privé, les salaires expliquent les 2/3 du PIB. Il reste un peu plus de 40% des salaires à libérer du poids de la propriété.
Le PIB France 2016 et le salaire à vie disponible
De la même façon que le paysan garde une partie de sa récolte et replante pour le cycle suivant, une partie de la valeur ajoutée doit être gardée pour réparer les actifs et investir: le profit (1/3 du PIB).  

Le salaire suffisant à vie

Les repères revendicatifs de la CGT proposent une architecture des salaires rémunérant qualification et carrière: écart de 20% ente deux niveaux de qualification et doublement du salaire pour une carrière complète (carrière de 18 à 60 ans en emploi, en formation ou en mobilité). A supposé que tout adulte soit payé à partir de 18 ans et que chaque année passée en emploi, en formation ou en mobilité contribue pour 1/42 à la carrière, il est possible de calculer le salaire sans qualification touché à 18 ans permettant de distribuer 2/3 de PIB à chaque adulte dans le respect des repères revendicatifs de la CGT.

Salaire suffisant (pour supprimer la pauvreté et sans condition) et à vie (pour favoriser la qualification et mettre au travail), chacun peut vivre au niveau de la richesse du pays.

Calculons la matrice des salaires suffisants et à vie en fonction de l'avancement de carrière et de la qualification (formation initiale, formation continue et validation des acquis de l'expérience).
Prenons comme salaire suffisant et inconditionnel le seuil de pauvreté (60% de la médiane des salaires), 1000€ pour tout adulte de plus de 18 ans (52,406 M de personnes). Cela fait un peu plus de 806 Md€. Il reste alors 1486 - 806 = 680 Md€ à répartir selon le principe des repères revendicatifs pour le salaire à vie.
Avec une cotisation des 2/3 du PIB à une caisse des salaires suffisants et à vie, tout le monde est au dessus du seuil de pauvreté grâce à un salaire médian de 2050 €, un salaire minimum de 1447  € et maximum de 2855 €, une distribution qui donne un seuil de pauvreté de 1230,00€. La pauvreté est supprimée.
 Un certain nombre de personnes ne développeront pas de carrière et resteront aux premiers échelons. Cela élargira l'échelle des salaires.
Le salaire suffisant et à vie ne constitue pas la seule source de revenu. Le profit permet de réparer les actifs, d'investir et produit aussi du revenu privé.

Le profit

Le problème avec le profit, c'est que sa ventilation est à la main des propriétaires du capital social, alors qu'il est produit par le collectif de travail. La question de la gouvernance est posée.

Le modèle de l'entreprise

Le statut juridique de l'entreprise n'existe pas. L'entreprise n'est qu'un nœud de contrats avec chaque salarié, chaque fournisseur et chaque client. Seul le propriétaire du capital social dispose d'un statut juridique. Et il ne cesse de se protéger au travers de sociétés d'actionnaires qui limite leur implication au capital social. Ce statut reste soumis au code Napoléon, point aveugle de la réforme moderne.

La comptabilité est le meilleur fondement pour donner un statut juridique à l'entreprise. Elle explique les contributions des acteurs.

Le collectif de travail alimente deux tiers des ressources de l'entreprise.
La société d'actionnaires apporte en moyenne moins d'un tiers des ressources, le collectif de travail produit la valeur ajoutée qui permet de réparer les actifs (amortissements) et rembourse les dettes (deux tiers des ressources).

Le statut juridique de l'entreprise doit mettre en œuvre ce caractère de bien-commun dans le partage du gouvernement (choix stratégiques et utilisation du profit) et dans le partage du résultat (amortissement, vitesse de remboursement, choix de mise en fonds propres, etc.).

Le résultat est alors disponible pour rémunérer l'initiative privée au niveau de la part du capital social dans les ressources et les membres du collectif de travail au niveau de leur contribution aux ressources pour rémunérer les spécificités de conditions de travail (nuit, pénibilité, imprévisibilité du calendrier, instabilité de l'organisation, déplacements, pression managériale, etc.), l'implication et l'engagement, le niveau des responsabilités, etc.

La sécurité sociale

Avec le salaire suffisant et à vie, les risques chômage et vieillesse sont couverts. Il ne reste plus qu'à couvrir les risques portant sur la santé et la dépendance.

A part aux Etats-Unis où le prix de la santé explose tous les compteurs pour un résultat des plus mauvais sur la santé globale de la population, les Etats avancés consacrent 11% du PIB, soit un peu plus de 245 Md€. Rien ne marche mieux que la cotisation pour assurer la santé d'une population. C'est la grande invention de la sécurité sociale et elle doit porter sur tous les revenus: mises en fonds propre, résultats et salaires suffisants et à vie.

Un beau projet... déjà en marche.