14 févr. 2017

Production et partage de la richesse

La campagne des primaires de la "Belle Alliance Populaire" a popularisé le revenu de base universel porté par Benoît HAMON. Son élection montre le succès de cette proposition auprès des électeurs à cette primaire. Mais sa réalisation se heurte à un alourdissement de la fiscalité qui risque de ne pas être accepté.

Au nom de la compétitivité, des exonérations de cotisation patronale ont alimenté une fiscalisation qui détruit l’intérêt de la cotisation. Ce qui n’est pas payé par l’entreprise, l’est par l’impôt, majoritairement par les salariés sur leur salaire net ; en fait, « la compétitivité » est financée par les salariés qui gagnent suffisamment pour payer beaucoup d’impôt, mais insuffisamment pour défiscaliser. Le capital ne contribue plus que formellement dans la fiscalisation et se rembourse de la CSG avec l’économie faite avec les exonérations – le solde est fortement à son avantage.

Ces pages visent à imaginer un système qui assure :
  • Des ressources aux entreprises en rapport avec les résultats qu’elles produisent ;
  • Une rémunération des actionnaires en rapport avec leur contribution aux ressources des entreprises ;
  • Des revenus permettant de vivre à chacun qui favorisent les qualifications et leur mise en œuvre ;
  • Une rémunération de l’implication de chaque membre du collectif de travail.

Le modèle de l’entreprise

L’entreprise*  est le lieu de création de la richesse. Il n’est pas possible de parler de la richesse sans se donner un modèle de l’entreprise.

Le meilleur outil pour construire ce modèle, c’est la comptabilité : le bilan d’une part qui fait apparaître la contribution de la société d’actionnaires (SA) dans les ressources, et le compte d’exploitation qui fait apparaître la contribution du collectif de travail à la valeur ajoutée et aux ressources au travers des remboursements aux banques et des résultats.

De Gaulle est toujours resté fidèle à son idée de participation en matière sociale. Pris entre le capitalisme et le socialisme, il n’a pu la mettre en œuvre mieux qu’au travers des sommes ridicules dont bénéficient actuellement les salariés. Il faut reprendre l’idée d’un partage en trois du résultat au bénéfice de la société d’actionnaire, de l’entreprise et du collectif de travail, les deux dernières parts étant mises en réserves dans les ressources.

Le modèle de l'entreprise
Après nous être intéressé au partage capital/travail au niveau national, nous revisiterons la distribution des salaires avant de rappeler les propositions de la CGT et de son union des ingénieurs, cadres et techniciens.

Le partage du PIB

Le rapport Cotis a popularisé la réalité du partage des richesses : depuis 1990, la part des salaires tourne autour des deux-tiers du PIB. L’autre tiers est constitué des résultats produits par l’exercice que l’usage attribue à la société d’actionnaires.

Les résultats appartiennent à la société d’actionnaires :
le partage profits / salaires privatise l’investissement.

Les actionnaires ne parviennent pas à "manger" tout ce résultat. En fait le profit qu’ils consomment à titre privé ne représente qu’un tiers des résultats.

Les deux tiers sont mis en ressources des entreprises. Mais cette mise en ressources ne revient pas forcément dans celles de l’entreprise qui a produit les résultats. Cette fuite du résultat en dehors de l’entreprise est accentuée par l’innovation financière du dernier quart du siècle dernier et par la liberté de circulation des capitaux. La seule solution pour corriger ce problème consiste à mettre en place un nouveau statut de l’entreprise distinct de la société d’actionnaires**.

Le bilan des entreprises montre qu’en moyenne, la part des capitaux apportés par les sociétés d’actionnaires ne représente que le tiers des ressources. La propriété des sociétés d’actionnaires sur tout le résultat est bien indéfendable.

La distribution des salaires

La distribution actuelle est managée « au mérite » au sein des entreprises pour 40% des salariés. Le reste des salariés (60%) est rémunéré selon les dispositifs inventés par les premiers gouvernements d’après-guerre : le statut de la fonction publique et la sécurité sociale.

INSEE Première, salaires du privé en ETP

Le poids des hauts salaires crée un écart de 442€ entre la moyenne***  (2225€) et la médiane****  (1783€).

Le management des salaires crée de l’inégalité, il est fait pour cela ; il valorise les compétences et l’implication. Deux commentaires peuvent être faits à ce propos :
  • Les compétences et l’implication des enfants de François FILLON ne sont probablement pas à l’origine du niveau de leurs salaires*****  : 3 806 € brut pendant quinze mois pour Marie et 4 442 € brut pendant six mois pour Charles, tous deux étudiants en droit.
  • Pour assumer les hauts salaires nécessaires au recrutement des compétences « rares » et limiter la masse salariale (la compétitivité !), les directions multiplient les temps partiels, la précarité, l’externalisation et exercent une pression sur la plupart des salaires grâce au « management ». De nombreux salariés ne trouvent plus d’emploi.

Durée annuelle du travail des salariés de 1950 à 2013
La durée de travail annuelle a cessé de décroître en 2003 pour se fixer à 1 400 heures par an, après une diminution continue depuis 1966.
Productivité du travail et salaires
La productivité du salarié ne cesse de croître, y compris après 2003. Mais vers le milieu des années 1975, les salaires ont décroché de la courbe de la productivité.

Tout se passe comme si après avoir installé la modération des salaires en 1975, les employeurs étaient passés à une deuxième phase d’un programme d’intensification de la productivité au service de la rentabilité financière des investissements en 2003 par la stabilisation de la durée du travail.

Le revenu de base

La campagne des primaires socialistes aux élections présidentielles de 2017 a popularisé le revenu de base porté par le candidat Benoît HAMON.

Il s’agit là d’assurer un revenu minimum à tout adulte de plus de 18 ans, quel que soit son revenu. Il y a 52M d’adultes de plus de 18 ans, un revenu de base de 1000€ par mois représenterait un budget annuel de 624Md€. Ce budget serait alimenté par l’impôt.

À supposer que les impôts soient répartis également entre profits et salaires, il resterait 1 038 Md€ de salaires à distribuer (1454Md€ actuellement). Tout chose égale par ailleurs, la moyenne des salaires serait de 1248€ et la médiane de 1558€, le premier décile de 844 €. La proposition de revenu de base ne prévoit pas de dispositif de mise au travail, c’est ce qui justifie les critiques à propos de la valeur travail.

La somme à consacrer aux ressources des entreprises seraient 346 Md€ seulement, soit 70% des ressources actuelles.

Le revenu citoyen

Le PIB national peut générer aujourd’hui un salaire à tout adulte (qu’il travaille ou non) de 2330€ par mois.

Un partage des salaires à part égal serait peut-être juste, mais n’encouragerait pas les citoyens à développer leurs qualifications. Pour lever ce problème, il est possible de décider de définir cinq niveaux, chaque niveau étant fixé 20% de plus que le précédent.

L’INSEE donne une répartition en 5 niveaux de qualification avec la répartition suivante : N1, 32% ; N2, 24% ; N3, 17% ; N4, 15% ; N5, 12%.

Le PIB permet d’offrir un salaire citoyen de plus de 1958€ brut par mois pour un citoyen sans qualification à 4060€ pour un citoyen ayant la qualification de plus haut niveau.

Partage de la part salaires du PIB
Mais se partage de la part salaires du PIB n’est absolument pas pérenne, personne ne serait poussé à travailler. Or, l’humanité est encore soumise à la rareté économique et le travail est encore nécessaire. Un dispositif de mise au travail doit être intégré au salaire citoyen.

Cette mise au travail peut être organisée par le management au mérite du salaire. Cette méthode produit de l’inégalité, elle est sensible aux pressions que peut exercer le management au bénéfice du bien commun, mais aussi à des intérêts divers.

Le statut de la fonction publique propose aussi une mise au travail par le déploiement d’une carrière. Pour une carrière doublant entre 18 à 60 ans, compte tenu de la répartition des qualifications dans la population, il est possible de construire une grille de salaires citoyen rémunérant tout adulte à partir de 18 ans compatible avec le niveau des salaires produit par le PIB.

Revenu citoyen mensuel brut pour le PIB 2015
Rémunéré tout au long de sa vie, le citoyen est couvert pour les risques chômage et vieillesse. Il ne reste que le risque maladie à couvrir. La santé coûte 257Md€ par an, une cotisation à 9% sur les salaires et de 18% sur les résultats des exercices (profits et mises en ressource) suffit à assumer ce coût.

Revenu citoyen mensuel net pour le PIB 2015
Une société ne vie qu’en mettant en commun un certain nombre de ressources pour porter des projets communs : les impôts. Les dépenses de l’État sont de 373Md€. Le paiement de l’impôt est l’occasion de redistribuer les richesses pour que les plus bas revenus soient suffisants. En se donnant un seuil (1000€) de revenu minimum et eu taux d’imposition (20%), on crée une contribution linéaire, négative en dessous du seuil.

Revenu citoyen mensuel net d'impôt pour le PIB 2015
Aussi bien l’État que la sécurité sociale ne peuvent plus être en déficit avec ces dispositifs, les prélèvements étant calculés chaque année sur les dépenses.

Pour résumer, le partage annuel de la richesse institue :
  • Une cotisation des deux-tiers de la valeur ajoutée pour alimenter la caisse des salaires citoyens qui rémunèrent la qualification de chaque adulte et institue une carrière qui double le salaire entre 18 et 60 ans sous condition de travail ou de formation. Le salaire obtenu à 60 ans est conservé jusqu’à la mort.
  • Une rémunération de la société d’actionnaire (profits) à hauteur du tiers des résultats de l’année, le reste du résultat étant affecté aux ressources de l’entreprise ;
  • Une cotisation des salaires à hauteur de s% et une cotisation des profits et des mises en ressources de 2s%, s% étant calculé sur le besoin de financement de la santé (ici 9% pour le PIB de 2015) ;
  • L’institution d’un prélèvement d’impôt à hauteur de i% calculé sur le besoin de financement de l’État, avec un seuil de m€, salaire jugé socialement nécessaire (1 000,00 € dans l’exemple).

On obtient le partage des richesses suivant pour le PIB 2015.

Le partage citoyen des richesses calculé sur le PIB 2015
Avant la formation du résultat, le chiffre d’affaires permet de contribuer à l’environnement de l’entreprise : à l’activité des fournisseurs par le paiement des fournitures, à l’existence de chaque citoyen adulte en valorisant sa qualification et le développement de son travail et de son effort formation, ainsi qu’aux ressources de l’entreprise par le remboursement des emprunts, etc.

La distribution du résultat contribue à rémunérer la société d’actionnaires en proportion de sa contribution et à développer les ressources de l’entreprise pour en améliorer les actifs.

Bénéfice industriel

Évolution du "coût du travail"
Le salaire citoyen serait alimenté par une cotisation des deux-tiers sur la valeur ajoutée de chaque entreprise.

Cela rend le "coût du travail" indépendant du volume d’emploi. Le travail ne constitue donc plus un élément de concurrence entre les entreprises, ni les secteurs.

Cette cotisation avantage la plupart des entreprises de la plupart des secteurs qui comptent ; elle favorise toutes les entreprises dont la masse salariale pèse plus des deux-tiers de la valeur ajoutée. Elle lève les freins sur l’emploi et favorise la flexibilité pour l’employeur et pour le salarié qui peuvent se séparer l’un de l’autre sans conséquence sur son propre devenir.

Les parcours de vie

Avec le salaire citoyen rémunérant la qualification et mettant au travail les citoyen grâce à une carrière doublant le salaire entre 18 et 60 ans, tous les parcours de vie sont possibles.

Une simple carrière salariée – la vie de la plupart des salariés qui font bien leur travail, en retirent de la satisfaction et de la fierté, mais centrent leur vie ailleurs, au sein de leur famille ou leurs amis…

Une vie de bohème – ne pas travailler, se consacrer à son art, sa passion sans avoir à rendre de compte, sans la galère…

Une carrière de cadre supérieur – prendre des responsabilités dans l’entreprise, être reconnu pour son implication non pour ses compétences dont l’évaluation est sujette à tous les aléas, reconnaissance constituant investissement dans l’actif humain liée à la fonction, le moyen d’augmenter ses revenus en restant salariés…

Une vie d’entrepreneur – construire une entreprise, mener un projet sans mettre en péril la vie de sa famille, inventer simplement…

Une vie de rentier – vivre de son héritage, le voir fondre à mesure que les actifs sociaux se développent…

Les propositions de la CGT

Il y a maintenant quinze ans, la CGT proposait le nouveau statut du travail salarié (NSTS) pour lutter contre le développement de la précarité et donner aux salariés plus d’autonomie, de créativité et les libérer de l’organisation du travail actuelle et de la subordination qu’ils subissent.

Il y a maintenant trois ans, l’UGICT s’engageait à "agir pour un nouveau statut de l’entreprise (NSE), distinct de celui de la société d’actionnaires, lui ouvrant une autonomie d’action et de décision, d’opposition et de proposition non sanctionnables face aux actionnaires" (Résolution 1.1).

Institut LEA -
L'entreprise alternative
Créé à l’initiative de l’Ugict-Cgt, l’Institut LEA (L’Entreprise Alternative) regroupe des salariés en responsabilité́ et des praticiens des entreprises. Avec leurs expériences et leurs expertises, ils font la démonstration qu’une entreprise se porte mieux économiquement et socialement si elle priorise la hiérarchie des compétences à la hiérarchie du pouvoir dans son organisation et ses modes de gestion.





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Notes
* L’entreprise est prise là au sens large et comprend toute organisation qui contribue au PIB.
** Première résolution du 17ème congrès de l’UGICT-CGT
*** La moyenne est obtenue en divisant la somme des salaires sur le nombre de salariés : 2 225 €.
**** La médiane est le salaire qui sépare la population des salariés en deux parties égales ; la moitié des salariés gagnent moins de 1 783 €, la moitié plus.