24 avr. 2016

Entreprises et travail

Avec le projet de loi travail, le gouvernement Valls conforte la thèse selon laquelle le travail est la cause des difficultés économiques de la société française. Depuis quarante ans, les gouvernements "soignent" le travail au nom de l’emploi, alors que c’est l’entreprise qui est malade de la maltraitance qu’elle subit dans l’utilisation du surplus que le travail produit.

Depuis la révolution agricole, l’Homme produit plus qu’il ne consomme et utilise le surplus pour sécuriser son avenir. Cette révolution lui a permis d’assumer l’augmentation de la population humaine grâce à une indépendance suffisante des contraintes de son environnement – il a si bien réussi qu’il devient lui-même une cause de problème pour cet environnement.

Avec la disparition de l’alternative communiste, une seule idéologie règne sans partage : le capitalisme qui ne jette pas de regard objectif sur les dysfonctionnements causes des dérèglements de l’économie à l’œuvre au sein de l’entreprise.

Le projet de loi travail doit être retiré pour permettre le débat nécessaire à la construction d’un consensus sur la réforme à conduire. "Ce qui serait terrible, nous dit Manuel VALLS, c’est le statu quo". Mais les opposants au projet de loi portent des propositions de réforme. Il s’agit de réformer au bénéfice de tous.

S’il n’y a pas de travail sans capital, c’est bien le travail qui produit la valeur ajoutée. Le capital doit être rémunéré à la hauteur de sa contribution aux ressources de l’entreprise ; le travail doit voir ses forces renouvelées pour garder ou même améliorer ses capacités à produire. Rémunérer le capital à la hauteur de sa contribution et assurer le renouvellement de la force de travail sont les deux dimensions du traitement des problèmes économiques auxquels se heurte notre société :
  • Le projet de réforme de l’entreprise améliore la justice dans la société civile et sécurise les ressources de l’entreprise.
  • Le projet de réforme du travail transforme la société civile en socialisant la reconstitution et le développement de la force de travail.
Le projet de réforme de l’entreprise

Ce projet est construit à partir du diagnostic établi par les travaux de Blanche SEGRESTIN et Armand HATCHUEL sur le défaut de statut juridique qui fait de l’entreprise, une personne morale sans consistance sociale.

L'UGICT (union des cadres de la CGT) et le collège des Bernardins se sont approprié le travail conduit par Blanche SEGRESTIN et Armand HATCHUEL sur l'entreprise (Refonder l'entreprise) et militent pour donner un statut juridique à l'entreprise qui limite les droits de ses propriétaires à leur contribution et qui reconnaisse la contribution patrimoniale du travail.

L’entreprise, personne morale sans statut juridique

Bilan et compte d’exploitation donnent trace de la circulation financière qui anime l’entreprise. Le bilan montre l’origine des ressources financières et leur emploi pour constituer les actifs de l’entreprise qui seront utilisés par le travail pour produire la valeur ajoutée. Le compte d’exploitation montre comment le résultat est produit à partir du chiffre d’affaire obtenu par l’entreprise grâce au travail.

L'entreprise n'existe pas, ce n'est qu'un environnement qui génère du bénéfice pour la société des actionnaires.
Aujourd’hui, le résultat appartient à la société des actionnaires (SA).

Le PDG (président directeur général) cumule les fonctions de représentant de la société des actionnaires et de direction du collectif de travail. C’est lui qui décide de l’utilisation du résultat. La hauteur de son salaire mesure son dévouement à servir les intérêts des actionnaires. Il a un intérêt personnel à privilégier le rendement financier de l’immobilisation du capital à l’origine des ressources de l’entreprise. Il peut aller jusqu’à sacrifier la sécurisation des ressources de l’entreprise – rendre les réserves négatives.

Il faut revenir à l’invention du surplus produite par la révolution agricole qui s’est produite il y a 11 000 ans. Le paysan garde une part de la production pour la planter et produire la récolte prochaine.

En accaparant le résultat, la société des actionnaires met en danger la pérennité de l’entreprise. Elle prive l’entreprise des moyens de produire la récolte prochaine.

Le cas OrangeSA

OrangeSA appauvrit l'entreprise pour rémunérer ses actionnaires.
En huit exercices, la société des actionnaires OrangeSA a prélevé 28 Md€ pour les distribuer à ses membres, alors que l’entreprise Orange n’a généré que 24 Md€. Dans le même temps, les ressources ont diminué de 10 Md€, passant de 101 Md€ à 92 Md€ et le capital de la SA a augmenté de près de 2 Md€, passant de 29 Md€ à 31 Md€.

Le projet de réforme de l’entreprise

L’entreprise a une réalité vécue comme un bien commun.

Mobiliser les salariés dans "l’effort nécessaire pour le bien de l’entreprise" est souvent couronné de succès. Le gouvernement comptait bien sur ce levier pour obtenir l’adhésion à son projet de loi travail. C’est un levier aussi fort que la peur de perdre son emploi quand l’employeur décide "d’augmenter le temps de travail sans augmenter le salaire".

La portée de la propriété des actionnaires prive le collectif de travail du surplus qu’il produit. Celui-ci est à la main des actionnaires qui peut se servir non seulement du résultat pour se rémunérer, mais "vendre les meubles" comme le montre le cas d’école OrangeSA. La portée de la propriété des actionnaires met en danger l’entreprise.

La propriété est un droit constitutionnel. Mais, de la même manière que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, la propriété des actionnaires s’arrête là où commence la contribution du collectif de travail.

Or la contribution patrimoniale du travail est évidente. C’est la valeur ajoutée produite par le travail qui permet de rembourser les emprunts qui complètent l’apport en capital des actionnaires. C’est la valeur ajoutée produite par le travail qui alimente les réserves de l’entreprise et sécurise ses ressources.

La portée de la propriété doit être réduite pour la justice et pour l’efficacité.

La propriété de la société des actionnaires doit être limitée à la contribution effective des actionnaires.
Considérons l’entreprise comme le bien commun de la société des actionnaires et du collectif de travail. La société des actionnaires apporte K% des ressources. Le reste est apporté par la valeur ajoutée produite par le travail avec le remboursement des dettes contractées et la mise en réserve des résultats successifs.

L’entreprise doit acquitter le coût des fournitures, les salaires, assurer le renouvellement de ses actifs au travers des amortissements et rembourser sa dette.

Une fois ces charges honorées, le capital doit pouvoir être rémunéré à hauteur de sa contribution aux ressources : K%. Cette rémunération doit apparaître dans les charges avant le paiement de l’impôt de l’entreprise. La société des actionnaires doit bien sûr acquitter l’impôt sur cette rémunération.

Ensuite, une fois déduite sa contribution à l’État, l’entreprise doit mettre en réserve le résultat de l’exercice ; c’est le surplus de la récolte pour l’avenir.

Si la réforme de l'entreprise avait été réalisée en 2007,
les ressources de l'entreprise Orange auraient été développées,
toute chose égale par ailleurs.
L’impact du projet de réforme de l’entreprise sur les ressources de l’entreprise Orange est évident et la rémunération de la société OrangeSA rémunère justement sa contribution : la constitution est bien respectée.

La réforme de l’entreprise proposée ici constitue une amélioration de la société civile qui n’a rien de révolutionnaire.

Le projet de réforme du travail

La lutte sociale du 20ème siècle a porté sur la propriété lucrative des moyens de production. Elle opposait le communisme partisan de la nationalisation des moyens de production au capitalisme opposé à toute socialisation de la production.

Avec la disparition du bloc soviétique l’histoire semble finie. Le capitalisme constitue le seul cadre d’action envisagé par le personnel politique éventuellement adouci par une politique « sociale » plus ou moins dynamique adoptée inspirée de la social-démocratie et le centrisme.

Le travail de Bernard FRIOT sur le salaire à vie* propose un système de rémunération socialisé du travail à partir de 18 ans jusqu'à la mort en fonction de son niveau de qualification et l’alimentation de l’investissement nécessaire par cotisation - le compromis social du 21ème siècle.


Le salaire n’est pas une gratification, mais une réparation. Quand le travail était très physique, la réparation consistait en une bonne alimentation, une bonne hygiène, un logement décent, un repos minimum et une bonne couverture sociale – toute l’histoire sociale du 19ème et du 20ème siècle, impitoyable lutte des classes qui a aboli difficilement l’esclavage, qui a produit le modèle social européen, la sécurité sociale, le totalitarisme soviétique aussi.

Aujourd’hui, la qualification est devenue essentielle à l’activité. Elle est produite au sein du système éducatif largement financé par l’État et exige l’effort de la personne.

La réforme du travail doit mettre en place un dispositif qui permette de reconstituer la force de travail et d’assurer l’amélioration des qualifications tout en permettant de dégager les surplus nécessaires au développement de l’activité. Ce dispositif ne peut fonctionner que par mutualisation de la distribution des salaires au niveau actuel.

Mais à quel taux de valeur ajoutée doivent cotiser les entreprises ?

Les salaires dans la valeur ajoutée depuis 1950
Dans son rapport sur le partage de la valeur ajoutée publié en 2009, Jean-Philippe COTIS**  montre que les années 1980 ont ramené les salaires à un taux de 67% de la valeur ajoutée. Cette évolution est le produit de l’abandon de la politique des salaires conduit jusque dans les années 1980 au profit des politiques de l’emploi.

Bernard FRIOT, quand il présente le salaire à vie , affiche un PIB de 2 000 Md€ et prend l’hypothèse d’un taux de 60%.

Dans ce cadre, la masse salariale est de 1 260 Md€ en comptant aussi un prélèvement de 60% sur la valeur ajoutée créée par les indépendants.

Dans le projet de Bernard FRIOT, toute personne de plus de 18 ans touche le salaire à vie jusqu’à sa mort. La retraite n’est pas un passeport pour ne plus rien faire, mais pour faire ce que l’on veut. Cultiver de belles tomates, faire son jardin ou le ménage chez soi, accompagner ses petits-enfants est plus humainement productif que l’activité des traders si dangereuse pour la société civile. Intégrer tout ce travail (domestique, public ou en entreprise) dans le PIB demandera du temps et beaucoup de dispute. À moins de saisir un bouleversement social comme une révolution ou une guerre mondiale, une phase de transition visant la socialisation du salaire des actifs comme première étape semble assez raisonnable.

Prélèvement de 60% de la valeur ajoutée
pour les salaires
Dans le compte d’exploitation, le prélèvement de 60% de la valeur ajoutée serait effectué au profit d’un organisme payeur, gouverné par une représentation nationale des salariés élue sur listes syndicales dont les résultats serviraient de mesure de la représentativité nationale.

Ce taux de 60% baisserait le coût du travail pour la majorité des entreprises. Les taux inférieurs sont les plus fréquemment présents dans les entreprises qui concentrent la plus-value des différentes chaînes de valeur, alors que les PME sont largement soumises à la concurrence par les donneurs d’ordre et acceptent les marges les plus basses et les taux de masses salariales les plus élevées. 

Cette masse salariale serait distribuée aux actifs (toute personne de plus de 15 ans cherchant un emploi selon l’INSEE). La population cible à terme est toute personne de plus de 18 ans, à vie. Cette deuxième étape est possible quand le PIB prendra en compte le travail domestique.

Le PIB serait partagé entre les actionnaires, au prorata de leur contribution***  (265 Md€), les entreprises (475 Md€) et les salariés (1 260 Md€).

Les qualifications seraient réparties en cinq niveaux :
  • N1 – sans qualification, actuellement 32% des actifs ;
  • N2 – CAP-BEP, 24% des actifs ;
  • N3 – BAC, 17% des actifs ;
  • N4 – supérieur court, 15% des actifs ;
  • N5 – supérieur long, 12% des actifs.
Pour encourager le travail employé – le seul à entrer dans le PIB actuellement –  il faut donner une perspective d’évolution des salaires dans une carrière. En situation de travail ou de formation, une carrière linéaire par rapport au salaire initial permettrait d’obtenir un salaire double à 60 ans.

Salaires bruts rémunérant les qualifications avec un changement de niveau de 20% et une carrière de 42 ans pour les actifs.
Pour couvrir les dépenses de sécurité sociale, il suffirait que chaque agent économique (actifs, entreprises et sociétés des actionnaires) cotise 29% de ses revenus bruts.

Cotisations des agents économiques couvrant les dépenses de sécurité sociale 2015
Salaires nets couvrant les dépenses de sécurité sociales 2015
Le 21ème siècle rentre dans l’Histoire

Pour l’instant, le 21ème siècle semble poursuivre le mouvement du dernier quart du 20ème siècle avec toujours plus d’inégalité entre les Hommes, toujours plus de chômage, toujours plus de réflexes identitaires, un poids de plus en plus lourd de la religion, etc.

La bataille pour le statut de l’entreprise et la bataille pour la socialisation du salaire devraient faire entrer le 21ème siècle dans l’Histoire. « La troisième guerre mondiale est sociale. » 

Quel rapport de forces peut porter un tel combat ?

Le projet de réforme de l’entreprise

Pas un entrepreneur ne peut s’opposer à la sécurisation des ressources de l’entreprise et à la disparition du rentier. Les salariés non plus, puis que cette sécurisation leur apporte la sécurisation de leur emploi.

Pour le collectif de travail, ce projet constitue la reconnaissance de sa contribution patrimoniale.

Le projet de réforme du travail

Le taux de 60% pour la masse salariale représente une baisse du coût du travail pour la plupart des entreprises, elle ne constitue une augmentation que pour les grands groupes comme Orange (39% actuellement).

La mise en forfait de la masse salariale constitue aussi un encouragement à l’emploi puis que le coût du travail est rendu indépendant de l’emploi.

L’impact du projet de réforme du travail serait positif pour la majorité des salariés en France.
Parmi les salariés d’aujourd’hui, tout niveau de qualification confondu :
  • 56% gagnent moins de 1 894 € net par mois, la moyenne des salaires prévu pour la carrière sans qualification ;
  • 80% gagnent moins de 2 727 € net, la moyenne des salaires prévu pour la carrière d’un bachelier ;
  • 92% moins de 3 927 € net par moins, la moyenne des salaires prévue pour la carrière d’un bac + 5.
  • La quasi-totalité des cadres A (grades les plus élevés) de la fonction publique gagne moins que le titulaire d’un CEP-BEP en fin de carrière dans la simulation présentant le projet.
L’efficacité de ces projets

Le communisme est mort de la centralisation des organes de décision mis très vite au service d’intérêts particuliers. Ces projets de réforme gardent décentralisés les organes de décision sur l’emploi des ressources au sein des entreprises. Le risque de totalitarisme en est réduit.

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* Bernard FRIOT appelle à faire le pont entre la jeunesse qui n’a pas la culture militante de la tradition CGT et cette tradition qui les ignore. Réclamer le salaire à vie, c’est se libérer de l’emploi.
** Rapport au Président de la République de Jean-Philippe COTIS, directeur de l’INSEE, sur le partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France.
*** La part du capital est de 35% des ressources de l’entreprise en moyenne.