5 mars 2016

Entreprendre, travailler, s’accomplir

Le parti socialiste se mobilise pour proposer aux Français les grandes directions d’action pour la France du futur. Il appelle militants et sympathisants à contribuer à ses cahiers pour la Présidentielle. Le premier chapitre porte sur l’entreprise et le travail. C’est exactement la problématique à laquelle la gauche ne sait pas répondre.

Introduction proposée par le parti socialiste

L’introduction faite par le parti socialiste ne permet pas à toute la gauche de s’approprier le débat qu’il veut lancer. Le premier défi entreprise/travail ne pose pas simplement un problème de compétitivité, mais le problème de l’équilibre entre le capital et le travail au sein de l’entreprise.
Le défi de la compétitivité de notre économie a été relevé pour que l’appareil productif français retrouve la vigueur perdue dans la décennie 2002-2012. Soutenir les capacités des entreprises à investir, exporter, embaucher, vise à bâtir une économie forte et moderne pour faire reculer durablement le chômage et créer de la richesse pour la répartir à travers le salaire, la fiscalité, la solidarité, les infrastructures publiques.
Ce combat est engagé alors que l’innovation est indispensable et qu’une nouvelle révolution technologique, énergétique et numérique, bouleverse les façons de produire, de se déplacer, de consommer.

Ce nouveau monde a ses opportunités mais aussi ses risques. Comment faire que ces mutations se fassent dans la sécurité des parcours professionnels et la continuité des expériences, non dans la précarité du revenu, des droits, des temps de vie ? Comment permettre aux TPE, PME, ETI, grands fleurons, jeunes entreprises innovantes, de se déployer dans la mondialisation ? Comment améliorer les conditions de travail, son organisation, sa répartition, sa durée, son accès ?
La transition énergétique et écologique, au cœur de notre action depuis 2012, est un autre défi indissociable. Une croissance plus qualitative, coopérative, durable, riche en emplois, en lien avec les territoires, c’est la croissance sociale-écologique pour laquelle la France a tant d’atouts. Ses leviers, financements, produits, savoir-faire, emplois, sont au cœur de ce cahier.
Parti socialiste, les cahiers de la Présidentielle
 « Créer de la richesse pour la répartir à travers le salaire, la fiscalité, la solidarité, les infrastructures publiques » ne marche plus. Les politiques mises en œuvre depuis une quarantaine d’années ont visé la compétitivité. Elles consistent à diminuer le coût du travail, mais ne peuvent éviter l’exclusion d’une partie de plus en plus importante de la population et obligent à adopter une stratégie low cost mortifère. 
L’exonération de cotisation sociale patronale est comblée par l’impôt. Elle porte sur la moitié des salaires : 50 Md€ par an. Mais l’impôt est payé à 95% par les salariés. Au bout des circuits, ce sont les salariés gagnant suffisamment pour payer beaucoup d’impôt, mais insuffisamment pour défiscaliser qui paient les cotisations dont le patronat est exonéré.
Pendant ce temps, les inégalités explosent, du côté des plus riches. L’exemple d’Orange est caractéristique, les efforts ne bénéficient pas à l’entreprise, mais seulement à la société des actionnaires.
Entre 2007 et 2015, les ressources de l’entreprise ont diminué de plus de 9 Md€ alors que la société des actionnaires s’est enrichi de 1,5 Md€. En huit exercices, l’entreprise a produit à peine 24 Md€ alors que la société des actionnaires a perçu près de 28 Md€ (plus de 12% par an en moyenne sans amortissement).

Entreprendre et travailler

Le compromis social échangeant subordination contre sécurité n’est plus soutenable.
Seule la société des actionnaires (SA) dispose d’un statut juridique. Cette réalité exclut les salariés de l’entreprise dont la gouvernance est complètement à la main de la SA, comme le bénéfice et sa conservation éventuelle en réserves.

Or les capitaux apportés par les actionnaires ne constituent pas entièrement les ressources de l’entreprise. La part des capitaux propres dans les ressources est en moyenne de 35% en France. Le reste des ressources est constitué de crédits apportés par les banques et remboursés au fil des exercices.

C’est la composition du capital (capital SA, réserves et crédits) et du travail qui produit le bénéfice d’un exercice. Aujourd’hui, en l’absence de statut juridique de l’entreprise, ce bénéfice appartient entièrement à la SA qui peut à loisir le distribuer entre ses actionnaires ou le mettre en réserve pour l’entreprise. Plus, en l’absence de statut juridique de l’entreprise, la société des actionnaires peut distribuer plus que le résultat en vendant les actifs ou/et en produisant des réserves négatives (véritable dette de la SA envers l’entreprise).

En 2013, le passif d’Orange faisait apparaître plus de 3 Md€ de réserves négatives. Par quel miracle le PDG a-t-il réussi à transformer cette dette de la société des actionnaires envers l’entreprise de plus de 3 Md€ en réserve de 2 Md€ mise au crédit de la société des actionnaires : l’innovation financière.

Pour entreprendre et travailler, il faut donner un statut juridique à l’entreprise de façon à reconnaître les contributions respectives du capital et du travail dans la production de richesse.

À moins d’hériter, il faut d’abord travailler pour pouvoir entreprendre. Entreprendre constitue l’aboutissement d’un parcours de travail en trois phases :
  • L’apprentissage – le travailleur, quand il débute, utilise des règles de métier apprises et suit des procédures prescrites ;
  • L’investissement – mais il ne peut éviter de rencontrer des situations non prévues et doit inventer des réponses, investir son travail, fixer de l’intérêt affectif et de l’énergie psychique dans ce qu’il fait ;
  • L’implication – avec son expérience, le travailleur aiguise sa capacité de jugement ; il parvient à déployer une certaine critique de l’existant et à faire preuve d’une innovation plus ou moins risquée pour son parcours.
La plupart des travailleurs ne vont pas jusqu’à l’engagement susceptible de conduire à entreprendre.

Lors d’un entretien BM, DRH d’une grande entreprise du CAC40, a déclaré que sur 150 000 personnes travaillant dans le groupe, 10 000 personnes montrent un engagement dépensant l’implication d’expérience jusqu’au sacrifice de la vie privée et 2 000 étaient en difficulté, en danger même.

On peut penser que cet échantillon de 150 000 personnes est représentatif de la population. La plupart des salariés développent le même type de carrière et ne sont différentiables que par les qualifications initiales ou acquises tout au long de la vie.

Avec cinq niveaux (sans qualification, CAP-BEP, Bac, supérieur court et supérieur long), un écart de 20% entre deux niveaux en moyennes et une carrière doublant le salaire initial, compte tenu de la répartition des actifs sur ces niveaux et de la masse salariale d’une année de PIB, les salaires mensuels permettraient d’assurer un minimum d’égalité et un déploiement de carrière.

Depuis le milieu des années 1980, la part des salaires et allocations diverses s’est stabilisé à 60% du PIB. Une telle production permet la rémunération de tous les actifs comme le décrit le tableau ci-après.
Le salaire socialisé
La rémunération différentiée de la qualification encourage les individus à consacrer de l’énergie à la développer. Elle constitue un des éléments du statut du travail salarié qui appartient à la personne et ne dépend pas de l’entreprise dans laquelle elle travaille et non remise à zéro à chaque changement d’employeur.

Ce salaire serait versé par une caisse interprofessionnelle à laquelle cotiseraient toutes les entreprises, organismes publics et employeurs : 60% de la valeur ajoutée.

Pour gagner plus, il faudrait entreprendre : porter un projet industriel ou de service. Seul ou plusieurs, les associés fonderaient une société et une entreprise, deux personnes morales à comptes séparés, la société représentant les intérêts des associés ou des actionnaires, l’entreprise portant le projet industriel ou de service.

La société ne serait propriétaire que des capitaux qu’elle a apportés et de la part qui lui revient sur le bénéfice. Cette part serait égale à la proportion K des capitaux de la société dans les ressources de l’entreprise.

Les réserves et le bénéfice non distribué seraient des biens communs de l’entreprise ; la direction serait l’émanation des porteurs de capital à proportion K et des acteurs de l’entreprise à proportion 1-K.

S’accomplir

La vision de la Société portée par cette contribution n’est pas celle du rêve américain mise en avant par Emmanuel Macron. Elle reconnaît à chacun de vivre comme il est. Entre 5 et 10% des actifs sont aptes à s’engager pour entreprendre. Ils ne sont ni meilleurs, ni plus méchants que les autres. La diversité est une aptitude naturelle des espèces pour assurer leur sécurité. Il faut juste la reconnaître et la favoriser.

La plupart des actifs sont impliqués dans leur travail, mais souhaitent avoir une vie privée, familiale et sociale à côté de leur travail. La socialisation de leur salaire constitue une assurance d’indépendance vis-à-vis de la vie professionnelle.

Les revenus des travailleurs indépendants sont en moyenne plus bas que celui des salariés. Leur donner un salaire socialisé correspondant à leur qualification contre une cotisation de 60% de la valeur ajoutée de leur entreprise sécurisera leur niveau de vie et libérera leur capacité d’innovation.

Le pouvoir des héritiers disparaîtra avec la croissance des entreprises. Un achat d’entreprise ne serait pas synonyme de disparition si entrepreneurs et salariés de l’entreprise le décident ; ils le peuvent grâce à la limite de représentation de la société dans la direction de l’entreprise.

La propriété privée n’est pas touchée. Les choix stratégiques sont répartis au sein de l’entreprise. L’État ne risque pas de lancer toute l’économie dans l’échec, ni le Monopoly boursier.