24 févr. 2016

Pas de souplesse sans copropriété capital-travail sur l’entreprise

Devant la levée de boucliers, le gouvernement a publié un « vrai-faux » sur la loi. Les objectifs déclarés sont de protéger les salariés, favoriser l'embauche, et donner plus de marges de manœuvre à la négociation en entreprise.

Dialogue social, emploi pour tous, développement économique, les motivations déclarées du gouvernement sont dignes d’intérêt et décident beaucoup de gens de gauche à accepter son action. Mais elles supposent que les efforts sont faits pour un bien commun. Or, la société des actionnaires s’attribue tout le bénéfice produit par la composition du capital et du travail au sein de l’entreprise. Non seulement la subordination du travail envers le capital enlève toute sincérité au dialogue social, mais les efforts du travail sont réalisés en pure perte.

Tant que la société des actionnaires a en main les décisions et s’accapare tout le bénéfice de chaque exercice, le dialogue social est un simulacre de démocratie :
  • La subordination dans laquelle sont les salariés vis-à-vis de leur employeur ne peut produire que des adhésions sous contraintes ;
  • Le poids de la société des actionnaires ne peut produire que des contrats léonins*.
La droite gaullienne, centrée sur la Nation, a essayé de promouvoir la participation avec la règle des trois tiers : un tiers du bénéfice aux actionnaires, un tiers aux salariés et un tiers à l’entreprise. Cette règle est ressortie au début du quinquennat Sarkozy, à l’époque du « travailler plus pour gagner plus ». Mais elle a bien vite été oubliée avec le rapport de force obtenu par le Medef avec l’adhésion du personnel socialiste au gouvernement à sa refondation sociale.

Le projet de loi El Khomri a-t-il provoqué le choc attendu par beaucoup de syndicalistes pour développer le mouvement social susceptible d’obtenir le retrait de la loi ?

Le débat réformisme/révolution a changé de nature. Au 20ème siècle, la différence entre réformer ne porter que sur le rythme du progrès social ; au 21ème siècle, avec la réforme, il s’agit d’accepter la restauration de l’ordre ancien et la réaction sociale de l’insécurité pour les travailleurs ; les progressistes n’ayant plus le choix qu’entre le défaitisme ou la révolution, le défaitisme l’emporte.

Le projet El Khomri est largement contesté. Les organisations syndicales essaient de construire un mouvement social qui s’oppose au projet, mais l’unité d’action recherchée limitant la demande de retrait à un certain nombre de points, en premier lieu celui de la limitation des indemnités prud’homales.

Un certain nombre d’organisations syndicales souhaite renouveler le succès de mouvement contre le CPE et obtenir le retrait du projet de loi. Malgré le succès de la pétition « Loi travail, non merci ! » avec 500 000 signatures en un jour, la rencontre n’a pas permis de produire un communiqué commun plus offensif.

Déclaration commune à la suite de la réunion intersyndicale du 23 février 2015
contre la loi El Khomri (disponible sur le site de la CGT)
Comme pour l’Europe, il faut se mobiliser pour un mouvement social à deux vitesses qui embarque le maximum de salariés pour le retrait du projet de loi.

Rester sur le front social ne produit plus de progrès. La nation productrice de loi susceptible de produire du progrès social est mise en concurrence par la mondialisation. Il faut investir le champ de l’économique dans sa granularité la plus fine : l’entreprise.

L’entreprise est formée sur les capitaux apportés par la société des actionnaires (SA) – association de défense des porteurs de capitaux – et sur le travail fourni au cours des différents exercices. Les capitaux que la SA ont apportés ne sont pas suffisants. L’entreprise doit emprunter et rembourser ces emprunts au fil des exercices. C’est donc bien le travail qui complète en capital les ressources nécessaires. La SA intervient en caution : si l’entreprise ne peut rembourser, elle doit supporter la dette.

Au cours de l’exercice, les ressources sont employées dans des bâtiments et des fournitures nécessaires à l’amorçage de la pompe à finance qui permettent aux travailleurs de produire et d’apporter aux clients les produits et services de l’entreprise. Une fois déduit du coût des fournitures, le chiffre d’affaire produit une plus-value – richesse nouvelle créée par la composition des facteurs de production : le capital et le travail – qui alimente les fournisseurs, les salaires, l’amortissement des équipements, le remboursement des dettes et les impôts. Actionnaires et travailleurs produisent un bénéfice qui est aujourd’hui accaparé par la société des actionnaires, l’entreprise n’ayant aucune existence juridique. Ce bénéfice et gardé en réserve pour s’ajouter aux capitaux propres ou distribué aux actionnaires.

L’inexistence juridique de l’entreprise a un autre intérêt pour les actionnaires : elle leur permet de garder le monopole du gouvernement et d’externaliser les travailleurs, salariés comme sous-traitance.

Il n’est pas possible de sous-traiter la production de la protection des salariés au dialogue social décentralisé sans donner à l’entreprise, bien commun du capital et du travail, un statut juridique qui limite les intérêts de la société des actionnaires et son poids dans les décisions à sa contribution réelle.
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*  La clause d'un contrat est dite "léonine" lorsque les charges en sont supportées par une seule des parties alors que l'autre en tire tous les avantages.